La Martinique et la Guadeloupe (de leurs noms précolombiens Madinina et Karukéra) sont deux îles à la fois ambiguës et paradoxales. Les mots sont brûlants, douloureux, mais tellement vrais ! Ici, le couï n’est jamais plein ou vide, les vérités et les sentiments jamais noirs ou blancs.
La première ambiguïté martiniquaise ne doit rien aux chiffres et aux statistiques. Elle nous guette dès notre atterrissage sur l’île aux fleurs où d’une voix doucereuse l’hôtesse de l’air nous souhaite la bienvenue « à l’aéroport de Fort de France ». Or, ne voilà-t-il pas messieurs et dames, que nous sommes au Lamentin.
La deuxième ambiguïté, au fil des découvertes, se respire le long de nos routes et communes. Du Gosier à Saint-Pierre, de la rue Achille René-Boisneuf à la rue André Aliker, les contradictions nous heurtent. Deux îles en apparence riches, que des centres commerciaux, zones industrielles, McDonald’s et cylindrées pointillent… Une économie que l’on s’imagine, nous autochtones, vivante et structurée comparée aux autres îles la Caraïbe. Une économie qui nous semble riche. Semble, car la réalité de Madikéra est tout autre, rongée par le chômage et le surendettement. A ceux me rétorquant qu’appartient à chacun sa propre conception du bonheur, je dis non ! Car, entre l’âme et le ventre nous devons choisir l’âme et choix il y aura…
Consommation et surendettement, Homo consommatus et Homo surendettus, misère dans l’abondance : la messe est dite. Nous sommes dans une société de consommation, où les trois lettres H.E.T. (prononcez acheter) sont le remède concédé afin de nous anesthésier (anesthésie mentale locale, comme j’aime à l’appeler), afin de nous éloigner de toute réflexion, en prévention de soulèvements populaires. Car un peuple qui a faim est un peuple qui inquiète. Alors si boudinw’ plein et que de surcroît tu as tout ce que tu veux, si bitin aw’ bon ! et que zafew’ bel ! C’est parfait !
Les autres ambiguïtés sont aisément visibles, sauf si l’on souffre de presbytie chronique. Quelques-uns de nos intellectuels ! Certains luttant pour la cause identitaire antillaise, mais cherchant pour compagne le reflet de leurs pugilats. Par ailleurs, l’ambiguïté est si aiguë qu’elle poussa Kali à chanter « Ici les révolutionnaires sont fonctionnaires » (Ile à vendre, Kali,1993). Toutefois, en étayant la réflexion, peut-on dans le milieu privé se battre et contribuer à l’émancipation de nos îles ? Face aux charges salariales que connaît le jeune chef d’entreprise, face aux tribulations que connaissent grévistes et syndicalistes, en dépit de toutes bonnes volontés, ne devient-on pas dans un tel contexte rapidement résigné et découragé ? Nos vies semblent composées de contradictions parfois même sous-jacentes.
En effet, des paradoxes à la fois subtils et inquiétants existent à Madikéra, notre Histoire par exemple. Les esclaves martiniquais et guadeloupéens se sont-ils libérés par le décret du 27 Avril 1848 du gouvernement républicain français, ou l’ont-ils été par leurs révoltes des 22 et 27 Mai 1848 ? (Révoltes survenues avant l’annonce dans les îles du décret abolitionniste.) La Martinique s’est-elle libérée à travers le soulèvement de juin 1943 (an tan Robé) ou fut-elle libérée par les Forces Françaises Libres ? Les deux îles se sont-elles libérées ou les a t-on libérées ? Guadeloupe et Martinique ont-elles une Histoire ou fait-on leur Histoire ? Car s’il est un fait indéniable, c’est que lois et décrets, moteurs de l’Histoire des Antilles Françaises, sont élaborés Outre-Atlantique. Encrés au plus profond de nous-mêmes, ces paradoxes semblent nous cerner, nous étouffer, nous étrangler. De l’air ! De l’air !
La macrocéphalie de Fort de France dans l’île Martinique est un énième exemple de notre ambiguïté. Car il semble qu’écrire sur la Martinique, tout au moins au XXe siècle, soit écrire sur Fort de France, le chef-lieu regroupant toutes les forces juridiques, militaires, politiques, économiques, médiatiques, voire intellectuelles de l’île. Or, est-il nécessaire de préciser que Fort de France n’est pas la Martinique ? La cerise sur le gâteau à l’ananas est la mentalité madikéenne, plus proche d’une mère patrie située à 7000 kilomètres que de ses sœurs de l’aire Caraïbe que seuls quelques centaines de kilomètres séparent. Madikéra fille de France ? La question est volontairement provocatrice, destinée pour une plus grande réflexion sur nous-mêmes.
Je terminerai par une pensée particulière pour l’île aux Belles Eaux. Une île Proche de ses racines africaines, Nourrie par le Gwo Ka, Rythmée au son du Boula et du Marqueur, Animée d’une identité culturelle unanime, Fière du nég’ mawon, premier Héros national. Mais une île Paradoxale et Incohérente depuis peu. Et ce, par une xénophobie montante à travers un individu s’exprimant sur une chaîne privée comme chef de file. Où es-tu Guadeloupe ? Où vas-tu Madikéra ? Toutefois, l’honnêteté m’oblige à souligner que cet homme aborde de vrais problèmes, mais de façon Abominable et avec de Détestables réponses.
Je suis parfois ambiguë, parfois paradoxale !
Le paradoxe fait-il partie intégrante de nos îles et de nous-mêmes ? Oui. Car notre paradoxe tient ses germes en notre essence même, composée d’apports occidentaux et africains, tiraillés entre l’appel des tambours et les notes du violon. Accepter ce paradoxe, n’est-ce pas se résoudre à la fatalité ? Oui. Car cultiver ce paradoxe serait Erreur et Faiblesse. Refuser d’aller plus Loin et plus Haut sous prétexte que « c’est comme ça ! » sous prétexte que « je suis comme ça ! »
Erika S